Parmi mes camarades anarchistes, il y a bien sur le débat sur le ''citoyennisme''; je vous mets un bon article sur le sujet : ici. Selon certains, la démocratie dite participative n'est qu'un leurre, un panacée qui soutient la légitimité de l'État et de ses corollaires: capitalisme libéral basé sur l'exploitation et l'inégalité des classes, oppression systémique, etc. La participation citoyenne opte pour la réforme et non pour la révolution, elle s'inscrit dans un modèle qui délègue le pouvoir à une classe dirigeante, laquelle, en ce monde capitaliste, ne peut qu'être liée, ouvertement ou non, à la classe des affaires). Bref, d'un point de vue radical, le citoyennisme nuit à la lutte pour la justice et l'égalité des classes.
En bonne balance, je me permets de verser de l'eau dans ce vin. La démocratie participative ne m'inspire pas particulièrement, d'une part, parce que je ne crois pas que nos dirigeants écoutent réellement. L'INM peut publier de jolis rapports de concertations populaires, il me semble que le gouvernement s'en contre-fou.
Par contre, je pense qu'il est parfaitement utile et nécessaire d'inviter le peuple à parler de politique, à apprendre l'implication, la conversation. Qui sait, plus on vivra l'expérience de l'assemblée et de l'organisation politique, de la mobilisation, de la démocratie directe, plus on réalisera qu'on a peut-être pas besoin de chefs politiques! (Encore ici, je ne suis pas certaine qu'il ne faille pas une forme quelconque de centralisation du pouvoir pour que mouvement ait lieu. C'est physique.)
Mais c'est d'interculturalisme que je voulais surtout parler aujourd'hui, puisque j'ai eu la chance de participer à la conférence de Gérard Bouchard (voir commission Bouchard-Taylor) ce matin.
Fait magique: j'ai hier soir fait la rencontre d'une femme qui écrit justement son mémoire sur les limites de l'interculturalisme (avec un débouché sur la puissance de l'art clownesque!!!)
J'étais donc impatiente d'entendre les propos de celui qui est en fait la référence sinon l'architecte premier du concept d'interculturalisme.
Le site de ce livre contient un bon r.ésumé: ici |
Heureuse d'entendre que ce concept d'interculturalisme est un produit de la psyché québécoise. Heureuse dans mes trippes, parce que tout ça s'inscrit dans une vision personnelle et dans mon analyse... (best-seller à venir...)
MAIS. Que d'imperfection!
Nous avons le devoir de questionner. Je questionne donc:
Qu'entend-t-on par le mot ''culture'' ? Éternelle question!! Tout le monde peut s'oser à une réflexion générale: la culture c'est euh... ça passe par la langue, par l'histoire aussi. Bouchard nous parle de valeurs communes qui se sont forgées au fil d'expériences collectives singulières. Lorsqu'on lui pose la question, il définit la culture nationale québécoise en citant 1) la défense de la langue française, 2) la notion d'affranchissement et 3) le culte de l'égalité et de la justice sociale. ''Ce sont là des valeurs absolument universalisables'', rajoute-t-il.
Si on me posait la question à moi, je proposerais aussi les valeurs de solidarité et du ''bâtir''. Bien que cette dernière idée doive absolument devenir sujette à la redéfinition.
Puis de suite, je questionnerais le concept de culture nationale. Car si la culture naît vraiment de l'expérience commune, il me semble que notre focus soit peut-être, en fait, mal placé. M.Bouchard lui-même le souligne: le concept de la nation fluctue dans l'histoire. Il sert différentes fonctions à différents moments.
Selon Bouchard, c'est un concept qui demeure très pertinent dans le contexte mondial et néolibéral actuel. M.Bouchard considère que la nation devra servir à nous protéger contre les perversions du néolibéralisme. Il souligne qu'entre 1970 et 2000 le Québec a su non seulement conserver l'intégrité de l'État et de ses politiques sociales (vraiment?), mais que nous avons même vu une diminution de la pauvreté. Je n'ai malheureusement pas de sources à citer et je suis un peu sceptique, mais il existe apparemment une études sur le cas. Bref, l'État-nation aurait encore sa fonction.
La culture nationale servirait ainsi à permettre l'orientation du politique. Sans culture nationale, par de cohésion politique. Mais faut-il absolument relier nation et État ?
Et que faire de tous les autres phénomènes culturels qui composent nos sociétés contemporaines?
J'ai dernièrement commencé à réfléchir davantage sur les dynamiques inter-générationelles, par exemple. N'existe-t-il pas un fossé culturel plus large entre les personnes qui sont nées avant l'avenement du téléphone, les baby-boomers et les enfants de l'an 2000, qu'entre une Marocaine et un Salvadoréen de 25 ans qui étudient tous deux en Ingénierie environnementale ? Il me semble qu'on ne peut pas parler de valeurs et de cultures sans admettre que la mondialisation nous a menés à vivre des expériences transnationales.
L'interculturalisme est pris dans un paradigme d'État. Bouchard ne le dit pas comme ça, mais il y touche presque lorsqu'il admet que la question autochtone relève d'une autre problématique. Il aurait discuté avec des Innus et quelques autres qui se posent d'ailleurs la question: ''les autochtones sont-ils québécois?'' Bonne question! Les autochtones ont peine à établir un rapport de force politique avec ceux qui les ont volé. Se réclament-ils de l'État québécois ? Qu'on-t-ils d'autres ? (Beaucoup, mais on n'en parle pas!)
En terminant, j'aimerais encore une fois traiter de la psyché québecoise et de son insécurité. Car c'est malheureux à dire, mais c'est beaucoup ça la culture québécoise!
Je lui ai posé la question à notre M.Bouchard. ''Que pensez-vous de la possibilité, et même de la ... souhaitabilité pour le Québec de se sortir de la conception de ''majorité fragile'' (reprenant ses mots) et menacée?''
Sa réponse fut insatisfaisante mais intéressante:
''On ne peut pas nier ou se défaire du coefficient sociologique d'insécurité. Par contre, cela aussi fluctue dans l'histoire. Prenez par exemple la révolution tranquille. À cette époque, les Québécois-es n'étaient pas du tout empreints du sentiment d'infériorité. Et qu'est-ce qui s'est passé? Et bien ils avaient cessé de se regarder comme une minorité canadienne française au Canada et ils ont vu qu'ils étaient une majorité au Québec. À cette époque, les Québécois-es étaient fier-es.''
Note à moi-même: cette source de fierté-résilience-confiance à laquelle j'aimerais tant voir le monde de demain s'abreuver, et bien, elle a déjà coulé dans les parages. Je ne sais pas les nuances de la fierté québécoise de l'époque, et les temps (et les cultures) ont bien changés, mais au moins, grâce à cette perspective, je conçois l'espoir que le Québec ne s'enlise pas éternellement dans la peur et la victimisation.
L'interculturalisme, c'est s'ouvrir à la différence. Mais pour s'ouvrir à la différence et à l'Autre il faut d'abord arrêter d'avoir peur de soi-même.